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Historique

Mémoire de Benjamin Constant à Lausanne (Suisse)

« La traite se fait : elle se fait impunément. On sait la date des départs, des achats, des arrivées. On publie des prospectus pour inviter à prendre des actions dans cette traite, seulement on déguise l’achat des esclaves en supposant l’achat des mulets sur la côte d’Afrique où jamais on n’acheta de mulets. La traite se fait plus cruellement que jamais parce que les capitaines négriers, pour se dérober à la surveillance, recourent à des expédients atroces, pour faire disparaître les captifs...
Intervention de Benjamin Constant à la Chambre des députés, le 27 juin 1821.

Portrait de Benjamin Constant


Proche de Bonaparte lors de son ascension puis devenu rapidement un opposant, Benjamin Constant s'impose rapidement comme le leader du Groupe de Coppet qui mobilise l'intelligentsia européenne contre Napoléon. Député sous la restauration il interviendra régulièrement à la Chambre pour dénoncer la traite négrière pratiquée en toute illégalité au mépris des traités adoptés par la France.


Plaque sur la Maison natale de Benjamin Constant à Lausanne

Benjamin Constant est né le 25 octobre 1767 à Lausanne dans une famille française réfugiée en Suisse pour échapper à la persécution religieuse. Sa mère étant morte à sa naissance, son père s’occupe de son éducation et l’envoie étudier à Édimbourg ou le jeune Benjamin se familiarise avec la philosophie et l’économie.
Témoin de la Révolution française il fréquente le salon des Idéologues et rencontre Germaine de Staël, fille de Necker le ministre des finances de Louis XVI, qui deviendra sa muse et sa maîtresse. Napoléon le nomme au Tribunat et il jouera plus tard un rôle politique auprès de lui dans la rédaction d’une constitution. Mais il devient vite un opposant, critiquant son militarisme et son despotisme.


En 1803, il accompagne Germaine de Staël, interdite de séjour à Paris, dans son exil au château de Coppet en Suisse, la demeure de Necker.
Pendant plusieurs années, il sera, aux côtés de Germaine de Staël, le leader du « Groupe de Coppet ». Des intellectuels venus de toute l’Europe vont se rencontrer là de façon informelle et étudier la liberté sous toutes ses formes : philosophie, littérature, histoire, économie, religion. Leurs travaux portent sur les problèmes de la création d’un gouvernement constitutionnel limité, sur les questions du libre-échange, de l’impérialisme et du colonialisme français, sur l’histoire de la Révolution française et de Napoléon, sur la liberté d’expression, l’éducation, la culture, la montée du socialisme et de l’État-providence, la philosophie allemande, le Moyen Âge, etc.
C'est à cette époque qu'il rédige « De l’esprit de conquête et d’usurpation, » qui paru en 1813, démontre que les gouvernements se servent de la guerre comme d’un « moyen d’accroître leur autorité ».

Benjamin Constant à la chambre des députés

En 1814, Constant revient à Paris et à partir de 1818, il siège à la Chambre des Députés où il devient le chef de file du Parti libéral.
En 1819, dans son célèbre discours à l’Athénée royal, Benjamin Constant compare la liberté des « modernes » à celle des « anciens ». Il rappelle qu’une « ère du commerce » avait remplacé « l’ère de la guerre » et que la liberté des modernes, la liberté individuelle, était aux antipodes de la liberté des anciens, la liberté collective. Cette distinction entre la civilisation ancienne et moderne implique deux formes d’organisation distinctes.
La liberté des anciens, écrit Benjamin Constant, se composait de la participation active et constante au pouvoir collectif. Notre liberté, à nous, doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée ; il s’ensuit que nous devons être bien plus attachés que les anciens à notre indépendance individuelle.
Dans sa plaidoirie pour les libertés, celle de l'esclavage l'animera en tant que leader du Groupe de Coppet qui au Congrès de Vienne de 1815 verra sa revendication de l'abolition de la traite des nègres consacrée par les puissances européennes.


Secrétaire de la Société de la Morale Chrétienne, créée en 1820, il exige, le 27 juin 1821 à la tribune de la Chambre des députés, et conformément aux engagements pris lors du Congrès de Vienne, l’application de la répression de la traite :
« La traite se fait : elle se fait impunément. On sait la date des départs, des achats, des arrivées. On publie des prospectus pour inviter à prendre des actions dans cette traite, seulement on déguise l’achat des esclaves en supposant l’achat des mulets sur la côte d’Afrique où jamais on n’acheta de mulets. La traite se fait plus cruellement que jamais parce que les capitaines négriers, pour se dérober à la surveillance, recourent à des expédients atroces, pour faire disparaître les captifs...
Messieurs, au nom de l’humanité, dans cette cause, où toutes les distinctions de parti doivent disparaître, unissez-vous à moi pour réclamer la loi que le ministère vous avait promise ».


Il récidivera à diverses reprises, notamment lors d'un discours à la chambre de députés le 5 mai 1822 :
«  La traite est la cause ou le prétexte des outrages nombreux qu'éprouve sans cesse le pavillon français. Je n'examine point si les Anglais la répriment par égoïsme ou par philanthropie... La traite sert d'apologie à cette surveillance arrogante que les Anglais exercent sur nos vaisseaux ; tantôt les accusant de piraterie, tantôt leur supposant des intelligences avec les négociants de leurs colonies, ils les arrêtent, les saisissent, les trainent dans leurs ports pour les juger. N'êtes-vous pas impatients, Messieurs , de soustraire notre pavillon à cette inquisition humiliante ? Faites des lois fortes, faites-les exécuter fortement, et ne souffrez-plus que des Français s'exposent pour un gain criminel, à être jugés par des étrangers... »


Il poursuit son réquisitoire, dénonçant les risques pour le système colonial :
« Messieurs, nous ne voulons ni le malheur ni le désordre dans les colonies. Nous déplorons les calamités qui les ont frappées ; mais pour écarter les malheurs, pour prévenir les désordres, pour ne pas voir les calamités se renouveler, faites cesser la traite. Si ce n'est par humanité, que ce soit par prudence ; si ce n'est par prudence, que ce soit par dignité. La traite peuple vos colonies d'ennemis qui seront un jour terribles : voyez Saint-Domingue. La traite soumet vos vaisseaux à l'insolence de l'étranger : voyez les registres de l'amirauté anglaise. La traite flétrit aux yeux de l'Europe et ceux qui la font et ceux qui la tolèrent : rappelez-vous les résolutions des gouvernements unis par la Sainte-Alliance ».


Benjamin Constant aura « défendu pendant quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n’a aucun droit. La majorité a celui de contraindre la minorité à respecter l’ordre : mais tout ce qui ne trouble pas l’ordre, tout ce qui n’est qu’intérieur, comme l’opinion ; tout ce qui, dans la manifestation de l’opinion, ne nuit pas à autrui, soit en provoquant des violences matérielles, soit en s’opposant à une manifestation contraire ; tout ce qui, en fait d’industrie, laisse l’industrie rivale s’exercer librement, est individuel, et ne saurait être légitimement soumis au pouvoir social ».


Benjamin Constant s'éteindra en décembre 1830. Il repose au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

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